AVOIR VINGT ANS EN SOIXANTE HUIT
ANNEE 88
En soixante huit, les prolétaires
croyaient dur comme fer
que tout travail mérite salaire.
Ils prirent les usines
en otages
et marchèrent
dans les rues
avec les sages
ceux
qui savaient parler
et revendiquer.
Mai 68,
mois des mirages
le patronat, les riches, l’Etat
tous plièrent sous l’orage
en attendant d’autres printemps.
En soixante dix , les femmes, les mères,
toutes collaborèrent
à la folie égalitaire
surconsommation planétaire.
Les enfants se promenèrent
en pyjama dès le matin
dans la deux chevaux bien retapée
que le père a déniché
dans un garage oublié.
Mamy-nounou fut sacrifiée
pour faire des économies
afin de pouvoir acheter
le nouveau poste de télé
ou le salon velours côtelé.
Les petits pavillons bien briqués
poussèrent comme des champignons.
Les jardins tout proprés
avec au bout le poulailler
occupaient les fins de journées
des maris bien organisés,
entre les matchs à la télé
le tour de vélo régulier
et les copains au p’tit café.
L’ouvrier de vingt ans en soixante huit
glisse jusqu’en soixante dix huit, sans problème ;
malgré le fuel qui s’affole
dans la chaudière bien huilée.
Il ne voit pas venir la récession
ni se fermer l’horizon.
L’usine pourtant rouille dans son béton.
L’Oligarchie jette son patron,
un matin gris dans son coton.
Le silence des machines est là,
c’est fini la chaîne à boulons,
on entend plus le marteau-pilon.
Il n’y croit pas, en l’instant
il fait la grève, allègrement .
Puis il se bat vaillamment
tout comme les autres assurément,
pour gagner son gagne-temps courant,
car il a compris clairement
que c’était fini,
les bons moments.
Premiers chômeurs, premières fureurs,
vient l’époque d’un nouveau labeur.
Vocabulaire - nouveauté,
A.N.P.E., stage, A.S.S.E.D.I.C.
pointage, insertion, qualification,
pour mieux faire avaler : exclusion.
Pas encore assez nombreux pour être respectés,
mais de ce fait, bien indemnisés,
ils ont d’abord déprimés
et se sont laissés aller
devenant pilier de bar journalier,
pour ne pas avoir à penser.
Puis ils ont été , parfois réembauchés,
mais en étant disqualifiés et très souvent, sous-payés.
Alors tout s’est très vite déglingué,
et les femmes ont, parfois, abdiqué,
celles qui ont résisté, n’ont été décorées
pour leur très grande témérité.
Les vingt ans en soixante - huit, arrivèrent en quatre vingt huit
et virent bientôt leurs enfants, surgirent de leurs petits draps blancs,
et crier énergiquement : et nous, et nous, maintenant ?
Qu’allons-nous faire en attendant que les vieux nous préparent une guerre
sur le terrain de tous ces perdants du pari de la croissance égalitaire,
du capitalisme triomphant .
Ils veulent la part du gâteau,
que leurs parents en soixante huit
crurent pouvoir leur fabriquer
et ainsi penser les conduire
vers un monde parfait d’équité.
Illusions destroyées,
rage exacerbée,
ils sont là,
les enfants de 90,
les adultes de l’an 2000,
et demandent « qu’avez-vous fait
vous les vingt ans en soixante-huit
avec vos rêves à satiété
boulimie de consommer ?
Nous vos enfants
comment allons nous continuer ?
Où nous sommes-nous arrêtés ?
Quel avenir nous est concocté ?
Il nous reste à vous demander
de continuer à travailler
pour nous empêcher de crever dans le cauchemar d’un univers
dont nous ne voyions plus que l’envers.
Alors, ne vous étonnez pas de nos cris,
et de ceux qui sans façon,
cassent tout sur leur passage,
car eux n’ont même plus l’avantage
de penser qu’ils s’en sortiront,
car il faut beaucoup de courage,
pour voir le phare en construction
qui pourra peut-être, dans le naufrage,
guider ceux qui tiendront, en tête,
sur le navire, en perdition.
DEC 90 D.P.
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