Des mots viennent...

Des mots viennent...

Des mots isolés, va-nus-pied, indécis remontent jusqu’au grand fleuve de ma conscience... Ils ne veulent parfois rien dire, juste être là, juste se dire, même dans le vide du sens... Alors, ils insistent, ils me pressent d’écrire. Ils veulent exister !

Ces mots, mes compagnons, mes amis de toutes les heures, de tous les bonheurs, de tous les malheurs.
Ces mots, mon identité depuis toujours.
Ces mots qui grandissent avec moi et qui me prennent par la main pour me faire découvrir ce que j’ignore, ou ce que j’éprouve encore confusément. Ces mots, grands écarteurs des voiles qui obscurcissent ma lumière.

Ils sont mes chères présences, perchées sur mon épaule comme un oiseau de proie fidèle et véhément. Un oiseau qui s’en va quêter et qui me rapporte des bris de phrases et des mots perdus, oubliés, comme des fleurs séchées entre les pages de la conscience. Un oiseau qui me frappe du bec pour que je m’en saisisse, pour que je ne laisse pas perdre ce butin.

C’est eux qui déchiffrent, qui approfondissent, qui travaillent sans relâche traquant la nuance, l’infime palpitation, recherchant la musique exacte du silence qui les enchâsse dans la syntaxe.
Ils sont comme ces chiens impatients, toujours à l’affût, courant plus loin que leurs forces, quêtant à gauche à droite, pour le plaisir et pour quelque chose qui leur échappe et qu’ils poursuivent néanmoins.

Avec eux je marche, me frayant un chemin parmi les énigmes, polissant l’étrange beauté du Mystère. Avec eux.

Je les aime quand ils se font fauves, lionnes dévalant dans la plaine, grands prédateurs du dire.
Je les aime aussi escaladant le ciel, s’inventant à chaque lettre, quand l’imagination flambe au plus haut.

Toujours en moi ils chuchotent et je les entends.
Attentive au souffle de leur vie, le soir, je m’assieds près d’eux, les laissant aller à leur dérive, juste avant qu’ils se retournent soudain et me disent "Tu écris ?"

Comment leur expliquer que j'ai renversé mon encrier?...que mon encre éclabousse ma feuille blanche, que ma plume gît inanimée...