Voyage

Voyage


Parfois, je n’ai pas admiré le courant d’une onde pure.
Souvent, j’ai débité des poèmes tempêtes en voulant égrener la poésie tranquille.
Quand le temps me l’a permis, j’ai marché un rythme lent, pour dévorer le paysage.
Rarement j’ai pu fixer le soleil sans penser à mes yeux.
Toujours, j’ai redouté l’immobilité des choses et l’équilibre faux.
Partout j’ai vainement tenté d’induire du mouvement, de l’air et de l’esprit.
Jamais je n’ai cru à la réalité ni à son contraire.


Quand j’étais petit, je suis parti sur les chemins dangereux. Des chemins au goût sucré, ceux qui parcourent les forêts en forme de clairières, j’en ai connu des tas. J’en ai perdu la trace. Mais bientôt, je partirai encore.

J’irai là où la route est le moins sûr. J’arpenterai les crêtes à la recherche du grand Nord, je descendrais vers le soleil vivant –celui qui touche la peau- et je me saoulerai à grand coup de couchers.

J’arroserai la piste avec mes yeux, j’aurai les poches au sec, et pleines de trésors amassés à la va vite. Je plancherai sur mon itinéraire absurde, comme un écolier qui prépare un exposé en cachette. A la lueur d’une bougie, à la sueur de mon front, j’écrirai l’histoire de mon avancée.

D’un pied sur l’autre, j’exaucerai la promesse du paysage. Après avoir calqué mon allure sur la dispersion des nuages, je me guiderai au bruit de l’eau. Je chercherai l’orage et le lointain.

Tantôt je survolerai d’un pas léger les parterres où les fleurs se disputent, tantôt j’arracherai la pierre qui barde tout obstacle.

J’explorerai sans curiosité, sans précipitation j’avalerai la distance, et je serai roi de ma destination. J’aurai, bien sûr, la civilisation en grippe. J’évanouirai tous ses défauts dans les détails de la nature.
J’espèrerai les rivières qui enchantent, l’éclat de la lumière et le bruit qui passionne. Derrière la forme et le mouvement, je guetterai l’odeur de cet or là.

Quand l’épuisement se fera sentir, je m’abandonnerai à la fatigue, à condition qu’on m’offre le sommeil ! Et s’il y a un nuage pour masquer mon étoile, j’y percerai un trou ! Avec la tête.

J’irai là où la vitesse et le vacarme ont le cœur plus lourd que le mien. J’imaginerai des animaux juste assez sauvages. J’appliquerai sur mon passage mon don avec parcimonie. J’apprécierai sans m’extasier la beauté du décor, et je négligerai la profondeur.

Les sens à-demi éveillés, je plongerai nu dans les ravins et les lacs les plus profonds. Je rechercherai le réveil glacial, sans le sursaut. Tout seul, comme avec un mort, j’exercerai mon imagination en jouant avec l’espace.

Je serai las avant même de partir, pourtant jamais l’idée de revenir sur mes pas ne me traversera l’esprit. J’irai en prenant garde à ne pas tourner trop souvent du même côté.

Je viderai mes souvenirs en même temps que ma gourde. Mais je ne les remplirai pas. Et quand j’aurai la mémoire aussi sèche que la terre, je m’approprierai l’océan. Longeant le bord, je serai pile entre les deux mondes. Sur la droite, mes yeux embrasseront la liberté qu’offre cet horizon. Sur la gauche, mes doigts se piqueront aux épines des pins.

Lorsque je serai dans la morsure du froid, j’analyserai la cicatrice. J’inventerai un manteau de fourrure qui sera léger comme une plume. Quand je serai sous la chaleur étouffante d’un tropique, que la nuit n’offrira plus l’obscurité propre au repos, je me féliciterai de l’amitié de mes paupières !

En dépit de ma bonne volonté, je projetterai inéluctablement des hommes en ces lieux inhabités. Dans les grottes, je verrai des suppliciés. Ailleurs, des passants –toujours immobiles- qui me fixeront du regard.

Là où l’air sera doux, je penserai aux baisers qui auraient pu pleuvoir, mais je ne penserai pas les larmes qui ont creusé la roche. Dans la vacance de cet équilibre, je déposerai les restes de mon identité.

Cet altruisme en creux, sera mon égoïste fierté. Je n’aurai pas besoin d’aller chercher très loin pour satisfaire mon désir de changement. Mais je marcherai à l’autre bout du monde pour m’en persuader. Chaque arbre nouveau, animal inconnu, ajoutera un peu de crédit à ce mensonge.

Dans l’ondulation de ma démarche, j’essaierai de mettre un peu de poésie planante, pour passer inaperçu. Et si la haine me consume encore, je mettrai le feu à la forêt. Calmement, j’anéantirai les bruits qui me dérangent.

Si la foudre ne tombe pas, j’irai dans la montagne. Je risquerai mon énergie, et en un éclair j’en ressortirai plus grand – ou grillé.

Mon ombre accusera mon rêve : j’y éteindrais la nuit, pour qu’on y voie plus clair. Jamais je ne laisserai transpirer un poème, et j’userai avec prudence des mots avec lesquels je pense. Après avoir banni les adjectifs, je m’attaquerai aux verbes. Quand il ne restera que quelques noms très simples, je les collerai avec un vrai plaisir aux images de mon aventure.

Parfois, mon malaise sera brulant. J’aurai le souffle court, le front chaud et la confiance entamée. Alors j’irai nager dans le vent pour y trouver mon air. Quand il m’aura repassé, je lui dirai au revoir.

J’adorerai toutes les divinités de la nature, pour ne pas craindre qu’elles existent. Seul, je ferai tourner le calumet sur lui-même. Quand la fumée envahira mes poumons, j’aurai une pensée pour l’autre et pour l’ailleurs.

J’irai cracher le pain béni sur toutes les routes. On me suivra à la trace. Ainsi, je saurai toujours où j’en suis. J’imaginerai vos regards posés sur moi, et pour me donner le courage de poursuivre, je me dirai tout haut : avance ! Ils ne sont pas tout à fait jaloux ! – ni séduits.

Et pour finir, je recommencerai.

J'aime beaucoup ton voyage...
Je suis heureux de pouvoir y prendre part.
Je ne suis pas loin de toi, juste au dessus de ton épaule, pour ne pas te déranger.
Amicalement
Gérard

J'ai moi aussi voyagé avec toi, j'y ai retrouvé des traces de mon enfance et de ma vie mais j'ai surtout voyagé sur les sentiments et humeurs qui surgissent de paragraphes en paragraphes sans laisser de répit au lecteur. Ce texte m'a laissé dans mes pensées après son dernier mot pour me laisser le temps de réajuster mes propres sentiments, juste avant d'avoir envie de le relire, c'est rare.

Bravo pour ce texte qui vous happe, vous interpelle sans pour autant vous maltraiter.

:!Bien :!Bien :!Bien
et pour ce texte !