Elena Gorunescu, une vie consacrée aux dictionnaires françaisBUCAREST, 13 nov 2010 Elena Gorunescu n'a jamais vu la France mais elle a consacré sa vie à l'écriture de dictionnaires et de manuels de français qui ont accompagné des générations de Roumains dans leur apprentissage. Malgré les obstacles que le régime communiste posa sur sa route.Elena Gorunescu n'a jamais vu la France mais elle a consacré sa vie à l'écriture de dictionnaires et de manuels de français qui ont accompagné des générations de Roumains dans leur apprentissage. Malgré les obstacles que le régime communiste posa sur sa route.
"Ce que j'aime le plus au monde, c'est travailler, à mon bureau, devant ma ma machine à écrire", déclare cette dame de 82 ans, en souriant, dans son petit appartement de Bucarest, où elle vit entourée de livres. Récemment, elle a commencé à utiliser un ordinateur.
"Si on me dit: +vos dictionnaires sont très bons et très utiles+, j'ai une journée faste. Je sens que je n'ai pas travaillé en vain, que je n'ai pas perdu mon temps", ajoute-t-elle.
Dans un pays très francophone --près de 90% des jeunes Roumains apprennent le français-- elle s'est lancée dans un nouveau dictionnaire.
Née à Braila (sud-est) d'une mère grecque et d'un père directeur de sociétés qui lui ont insufflé l'amour du français, Elena Gorunescu a toujours été la première dans toutes les écoles qu'elle a fréquentées. Arrivée première aux examens d'admission de l'Université de Bucarest en 1947, elle termine aussi major de sa promotion.
Mais ses origines bourgeoises, considérées comme suspectes pour le régime communiste, constitueront un obstacle de taille. Il lui faudra 16 ans d'"errance" comme interprète et traductrice avant de pouvoir enfin enseigner à l'université, en 1967.
Malgré les injustices, elle ne se considère pas comme "persécutée" par le régime: "je n'ai pas été en prison, j'ai été tolérée, ils m'ont laissé vivre".
Elle a toutefois affronté la censure qui lui renvoie son cours de théâtre français contemporain annoté de points d'interrogation. Parler du dramaturge Eugène Ionesco, connu pour son anti-autoritarisme, dérangeait.
Elena a gommé les notes et a porté la copie telle qu'elle l'avait écrite à l'imprimerie. Le cours est paru ainsi.
"Ce n'était pas un acte de courage, c'était un acte de dignité", dit-elle.
Pourtant, son dictionnaire de théâtre est resté sept ans dans les tiroirs. Il a été publié seulement après la chute du dictateur Nicolae Ceausescu.
La première fois qu'elle a voulu faire un dictionnaire français-roumain on lui a répondu qu'il y en avait déjà un.
"J'ai insisté. J'ai dit: +mais les Français ont le Larousse, le Robert, le Littré, des dictionnaires Flammarion, Hachette, de très bons dictionnaires+. Réponse: +C'est leur affaire+. Ca c'était le communisme: dictionnaire unique, parti unique", raconte-t-elle.
Aujourd'hui son bilan est impressionnant: une trentaine de livres dont une dizaine de dictionnaires réédités et utilisés par des générations de francophones, en Roumanie et ailleurs.
Pourtant, elle n'a jamais vu la France. D'abord à cause de la dictature qui limitait les voyages. Puis, elle a senti qu'il était un peu tard. Mais elle a eu l'impression d'y avoir vécu, accompagnée de Corneille, de Molière et de Voltaire ainsi que des milliers de mots qu'elle a traduits dans ses ouvrages.
Comment faire un dictionnaire? "On se réveille à 3H00 du matin et on travaille jusqu'à la tombée de la nuit", en consultant de nombreux dictionnaires, dit-elle.
Mme Gorunescu n'a pas d'enfant mais ses centaines d'étudiants ont été ses enfants, dit-elle.
La France vient de lui rendre hommage en la décorant Chevalier des Palmes Académiques et Officier des Arts et Lettres.
"La plus belle langue du monde c'est la traduction. Et la traduction sans dictionnaire est impossible", estime l'ambassadeur de France à Bucarest, Henri Paul.