Etouffé, Bouchta décida de se reposer en s’allongeant par terre. Quand il reprenait son souffle, il se leva pour aller rechercher son troupeau. Il se rendait compte, enfin, qu’il s’était égaré et que les collines étaient les mêmes. Par quelle colline il passait? Il l’avait complètement oublié. La plaine où il avait confié à Miche ses misérables bêtes devrait être derrière l’une de ces collines. Il choisit un sentier au hasard, espérant être sur la bonne voie, pleurnichant et tapant des pieds de colère. Par un coup de chance, il constatait qu’il était dans le bon sens: les aboiements de Miche s’entendaient de près. Bouchta montait la pente, en courant, le cœur serré. Il avait l’impression qu’il se passait quelque chose de mal pendant son absence. Du sommet, il voyait Miche menant une lutte contre un loup féroce. Le troupeau bêlait follement de terreur. Le pauvre chien harcelé ne pouvait plus affronter les attaques du loup enragé. Il finissait par capituler et le loup enfonça, d’un geste, ses griffes et ses canines dans sa gorge. Le pauvre mourrait, quant à l’animal sauvage, il se tournait vers les autres bêtes dépourvues de force et de ruse. En ce moment, le petit berger descendait la pente le plus vite qu’il pouvait, jetant de gros cailloux pour faire peur au loup, tenant sa houlette en avant comme s’il tenait une baïonnette. Il s’inspirait bien des héros de la vieille Rahma. Il lui fallait protéger son troupeau et faire éloigner au moins le loup. La situation n’était pas facile. Jamais Bouchta ne croyait rencontrer un loup dans la région.
- « Mais d’où est-il venu celui là ?» pensait-il.
L’opposition, évidement, n’était pas équilibrée: un petit berger de douze ans, paisible contre un animal dévoreur. L’enfant n’avait qu’à crier mais personne ne réagissait à son secours. L’endroit était dépeuplé. Il continuait à lutter et à chaque fois qu’il trébuchait contre une racine ou une pierre il se levait si vite tout en laissant son arme dressée en avant.
Il menait ce combat avec courage et déployait tous ses efforts. Le loup ne perdait pas espoir et poursuivait toujours ses essais de s’abattre sur un agneau ou un chevreau. Mais le petit berger l’empêchait de s’approcher de ses bêtes.
Epuisé déjà, il ne trouvait plus la force de persévérer sa défense. Il se sentait que ses membres et tout son corps le lâchaient.
- «Je finirais sûrement dévoré par cet animal sauvage !», ainsi pensait- il avec une très grande déception.
Soudain, l’enfant affaibli, les membres flasques trébucha sans pouvoir se soulever. L’animal féroce et perfide profita de l’occasion et sauta sur le petit pour terminer sa besogne.
Bouchta ne cédait pas, il continuait à crier à tue- tête. Il frappait des pieds et lançait son coussin. Secoué de sanglots, il se trouva dans les bras de son oncle. Les cris du petit avaient attiré son intention, alors qu’il poussa la porte, pour voir ce qui se passait dans la chambre où dormaient ensemble, les garçons de la maison (le frère cadet de Bouchta et ses deux cousins).
- « Calme-toi fiston!», disait-il en passant sa main droite sur la tête de petit tremblant toujours. « C’est fini, petit.», ajouta le fquih.
L’enfant sanglotant toujours, faisait signe avec la main à la petite cruche d’eau posée sur une modeste table au bois usé. L’oncle, après avoir nommé dieu, lui servait à boire, Bouchta buvait quelques gorgets et balbutiait : « Ca y est, oncle, je vais bien. »
- « Dis- moi petit, qu’as-tu vu ?», disait l’oncle avec douceur.
L’enfant ne trouvait pas ses mots. L’oncle comprit que le cauchemar était terrible qu’il n’ait pas laissé de souffle au pauvre petit. Il regarda la montre et conclut qu’il est temps de la prière. Il se leva et demanda au petit de faire ses ablutions pour aller ensemble à la mosquée. La prière faite, le fquih faisait signe à Bouchta de s’approcher de lui. Il lui demandait s’il allait bien. Le petit affirma d’un geste de tête.
- « Dis donc petit, tu ne veux pas me raconter ton rêve?» ajoutait l’oncle d’un ton plaisant.
- « Si mon oncle.», murmurait l’enfant, tête inclinée.
- « Alors, vas y, raconte !»
Le petit racontait à son oncle tout ce qu’il avait vu dans son rêve avec détails. Le fquih, concentré, ne disait pas un mot. Il laissait son neveu prendre tout son temps. Il l’examinait d’un regard de compassion. Bouchta était orphelin : son père avait décédé alors qu’il n’avait pas encore vu le jour. L’oncle continuait à contempler son neveu sans faire attention que le petit avait terminé ses paroles.
- « Oh pauvre petit ! Dieu merci que ce n’était qu’un rêve. » Disait le fquih avec le même ton de compassion.
L’homme méditait un peu avant d’ajouter :
- « Tiens petit, tu connais déjà que la sourate d’Iqrae est la première que notre prophète a reçu du grand dieu.»
L’enfant faisait oui de la tête et suivait attentivement les paroles du fquih. Afin de faire oublier au petit son cauchemar, l’oncle commençait à lui parler du prophète, comment était sa vie et lui expliquait que malgré qu’il fût orphelin, démuni et inculte dieu ne l’avait pas oublié et avait fait de lui le meilleur de tous les mondains. Puis, il s’arrêtait sur le mot « iqrae », le lui expliquait en mettant en relief la sagesse que présente le terme, et la grandeur d’une religion qui avait commencé par un verbe conjugué à l’impératif nous incitant à lire et apprendre. L’oncle se sentait responsable de la privation qu’avait vécue le petit orphelin, et comptait tout récupérer avec lui. Une décision qu’était venue à temps puisqu’il n’est jamais trop tard d’apprendre ou de faire apprendre à lire.
- « Lisons, donc, fiston! Tu veux ?»
L’enfant ne croyant pas ses oreilles commenta :
- « Et le bétail, oncle ?»
L’homme souriait, une larme coulait en même temps sur sa joue sans qu’il n’ait pu la retenir.
- « Apprendre avant tout. » Répondait le fquih.
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Le fquih: Responsable des prières à la mosquée mais aussi de l'enseignement d'avant primaire traditionnel.
Iqrae: Une sourate du coran la traduction du <>