Un récit véridique d'Octavio Paz

Octavio Paz est un poète mexicain (1914-1998) qui obtint le prix Nobel de littérature en 1990. Le peintre Joseph Sima (1891-1971) est décédé à Paris le 24 juillet 1971.

« Je n'ai pas été l'ami de Joseph Sima, mais j'ai eu l'occasion de le voir deux ou trois fois, toujours brièvement, à la galerie parisienne Le Point Cardinal. Sa présence et sa conversation m'ont causé une impression non moins vive que sa peinture. Deux jours avant d'écrire ce poème et de faire le rêve raconté ci-dessous, j'avais reçu une lettre de Claude Esteban qui, au nom de notre ami Jean Hugues, me demandait un texte – peut-être un poème, insinuait Claude – en hommage à Sima. Quant au rêve, je n'ai le souvenir précis que d'une pierre quasi sphérique – planète, énorme citrouille, ampoule électrique gigantesque, fruit démesuré ? - flottant dans l'air et changeant lentement de couleur – mais quelles étaient ces couleurs qui, tour à tour, l'éclairaient et l'assombrissaient ? - , tournant autour de soi et sur un paysage de sable fin couvert d'yeux – les yeux de Marie José [l'épouse française du poète] qui dormait à côté de moi. Le paysage jaune et ondulé s'était transformé en pupilles qui regardaient la pierre respirer, se dilater et se contracter, suspendue en l'air. C'est alors que je fus réveillé par une voix qui disait : Sima siembra [Sima sème]. Je me suis levé aussitôt et j'ai écrit d'un trait le poème [Pierre blanche et noire] que m'avait demandé Esteban. Trois jours plus tard, nous apprenions dans Le Monde que Sima venait de mourir. Comme ce journal arrive au Mexique trois jours après sa parution, j'avais rêvé mon rêve et composé le poème à l'heure de la mort du peintre. »

Octavio Paz, Oeuvres, Bibliothèque de la Pléiade, p. 480.

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