Les lectures test
Quelques précautions avant de faire évaluer un de ses textes
Première précaution : quand je donne un texte à lire, je m'efforce qu'il soit bien imprimé, avec le moins possible de fautes d'orthographes. Cela permet au lecteur de se concentrer sur le contenu du texte et non sur la présentation. Quand il m'arrive de lire pour correction un texte bourré de fautes de frappes, je suis arrêté trop souvent dans ma lecture et je n'ai pas le temps d'apprécier le rythme ou les subtilités du texte. Mes commentaires sont donc beaucoup plus grossiers.
De même, je donne toujours des photocopies datées et je demande à ce que les commentaires éventuels soient écrits gros, avec un bon feutre épais, de préférence rouge ou bleu, et surtout pas avec un crayon quasi invisible et de minuscules pattes de mouche. J'ai remarqué (c'est un peu provocateur à dire comme ça mais ça représente une réalité) qu'une fois le premier sentiment de "sacrilège" passé, les lecteurs-tests aiment bien vandaliser un manuscrit à grands coups d'encre rouge.
Enfin, je ne donne aucun commentaire en plus du manuscrit (et en particulier je ne raconte pas l'histoire "avant" !) afin de ne pas fausser la lecture.
La lecture du manuscrit n'est pas du tout celle d'un livre, elle est plus interactive et demande un investissement différent. Il faut en tenir compte lorsqu'on fait le point avec un lecteur test. Exemple :
Si j'essaie de faire passer "subtilement" un certain schéma, le lecteur-test (qui s'est appliqué) le verra, se félicitera de l'avoir vu et me félicitera en retour pour ma subtilité. On se gratifie mutuellement de grandes claques dans le dos et chacun repart content : le lecteur-test parce qu'il est malin, l'auteur parce qu'il maîtrise parfaitement son schéma narratif. Problème : est-ce qu'un lecteur ordinaire verra la même chose ? N'ai-je pas intérêt à renforcer le trait ?
Exemple inverse : je fais lire un manuscrit à un lecteur-test qui est lui-même écrivain. Il peut me dire "Là, la ficelle est un peu grosse !" parce qu'il la connaît bien. Le lecteur ordinaire l'avalera peut-être sans problème.
Il faut aussi se méfier des lecteurs-test qui adorent réécrire les manuscrits dans leur tête et qui vous commentent après lecture une histoire infiniment plus riche et détaillée que celle que vous avez écrite. Ce type de lecture est en général absolument inutile. On peut lire l'annuaire des téléphones et en déduire "Guerre et Paix" ; de là à faire une analyse critique intéressante de l'annuaire, il y a loin
Parmi les questions utiles qu'on peut poser après la lecture, il y a :
Comment te sens-tu ? Si le texte (en particulier s'il s'agit d'un texte court) a pour effet de provoquer un certain choc émotionnel, c'est une bonne façon de savoir si on y est arrivé.
Quel personnage te plaît le plus ? T'ennuie le plus ? Un personnage ennuyeux est souvent mal construit, plat, sans profondeur. Par contre un personnage "détesté" par le lecteur est un personnage "réussi", au sens où il est doté d'une personnalité à laquelle on peut réagir.
Quel personnage dit les choses les plus intéressantes ? Lequel parle le plus pour ne rien dire ? Quel est celui avec lequel tu aimerais discuter d'autre chose ? Évaluer la qualité des dialogues est un travail de titan. Certains personnages (les plus réussis, en général) dialoguent bien. D'autres s'expriment plus mal, je ne sais pas pourquoi. C'est un phénomène que j'ai souvent constaté chez moi. Les personnages les plus inutilement bavards et ennuyeux sont ceux que je sens mal et que je "fais parler". Lorsqu'ils sont bien clairs dans ma tête, ce sont eux qui parlent et ça va en général beaucoup mieux. Ça, c'est en général très difficile à retravailler. Lorsqu'un personnage a des problèmes de dialogue, je m'efforce de l'enrichir (en tant qu'individu), je le dote d'un passé, d'une histoire, d'un certain nombre de failles et je réécris l'intégralité de ses dialogues (tuyau de R. Canal : si un personnage vous paraît sans consistance, dotez-le d'une enfance tragique et/ou d'une infirmité physique ou morale, voir d'un simple abcès dentaire, avant de le lancer sous les projecteurs !).
Dans quel décor bâtirais-tu ta maison ? Un décor est réussi, à mon sens, si le lecteur éprouve l'envie de se l'approprier, ou d'y passer ses vacances (ou au contraire s'il n'y mettrait les pieds pour rien au monde !).
Quelle est la couleur, l'odeur, le fond sonore, dominant du texte ? Sans commentaires. Huit fois sur dix, la réponse est "Pas d'odeur particulière" !
Au cours de quel passage as-tu eu le plus froid, le plus chaud ?