La solitude.
Nouvelle
La solitude, quand elle devient trop encombrante, lorsque l’on ne sait plus quoi faire d’elle, finit par ouvrir des portes inhabituelles, inattendues.
Chaque matin, au réveil, c’était l’éternelle question : Y aurait-il aujourd’hui un petit quelque chose qui bouscula un peu cette solitude qui lui collait à la peau depuis quatre ans déjà ? Y aurait-il un son, une voix, un mot, un geste, une présence qui –tout d’un coup – le fit rebondir et regarder devant lui avec – au moins – un petit espoir de… ?
Seul son chien s’approchait de lui.
- Salut, salut… attends j’ai paumé mes chaussons…
Son chien insistait, alors grosses caresses et direction la douche.
A peine habillé, c’était le casse-croûte pour son chien, puis la première sortie du jour. Il emmenait son chien dans un sous-bois, tout proche ; C’était ça ou la départementale déserte. Le sous-bois avait l’avantage d’être plein d’odeurs aussi son chien levait la patte partout.
De retour, son chien s’étalait sur son tapis, la tête posée entre ses deux pattes, les yeux grands ouverts et le regardait aller et venir. On aurait dit qu’il se disait : qu’est-ce qu’il va faire encore ?
Le premier contact humain possible passait par son PC. Il allait voir si quelques mails apporteraient un petit quelque chose qui bouscula la solitude. C’était souvent : « non » car il n’avait que de rares amis sur le web. Pour tout dire : deux amies. Mais il y avait aussi ses enfants.
S’il y avait un mail de l’un d’entre eux, il le lisait lentement, mesurant chaque mot comme lorsque l’on déguste un met savoureux, mais il ne pouvait y répondre en l’instant, c’était des mots qui – bousculant le silence – prenaient une importance capitale. Il n’était plus seul et de cela il avait perdu l’habitude!
La matinée passait entre la petite vaisselle du repas de la veille, un peu de ménage et se préparer pour faire quelques courses. Bien souvent il aurait pu s’abstenir d’aller aux courses mais il s’imposait cette sortie, c’était le seul moyen de ne pas être complètement à l’écart du monde, le seul moyen – si court fut-il - qu’il lui restait pour entendre quelqu’un parler, pour écouter le brouhaha dans une grande surface dont il n’avait qu’une idée en tête : en sortir !
Lorsqu’il rentrait, il respirait mieux, il s’était satisfait d’avoir pu se mêler à la foule car la solitude, si encombrante, rend ce genre de pas bien difficiles.
C’est seulement là qu’il mangeait un peu, son chien près de lui guettant toute les miettes qui tombaient de son casse-croûte !
Il retournait voir ses mails, les relisait puis à nouveau emmenait son chien dans le sous-bois.
Il y a plus d’odeurs dans les sous-bois que de paroles dans la bouche des gens, le constat était évident !
C’était le milieu de l’après-midi, son chien toujours la tête posée entre ses pattes continuait de l’observer.
Lui, il essayait de répondre à ses mails ( s’il y en avait eu ) puis il sortait sa guitare, l’accordait, faisait quelques gammes d’échauffement, commençait à jouer un morceau, puis un second, posait la guitare et refermait l’étui. Il retournait vers son PC, allait lire d’autres auteurs, tout en regardant si l’heure passait. Il n’avait à cœur que vienne la fin de cette journée, à cœur d’en finir avec cette solitude.
Entre chien et loup c’était le troisième repas de son chien puis ils retourneraient, tous les deux, dans le sous-bois aux nouvelles odeurs !
La soirée arrivait comme un dernier pas dans cette solitude qui pourrissait tout. Il ouvrait son réfrigérateur et - grande réflexion – se demandait ce qu’il mettrait dans une casserole pour son repas, le seul d’ailleurs qu’il faisait ! Il allumait son téléviseur et cela lui faisait du bien d’entendre parler, que des voix rompent son silence.
C’est souvent après avoir mangé qu’il se mettait à écrire, là plus de solitude, plus de silence, dans ce monde là – celui des Mots – il oubliait tout.
Un dernier tour vers les mails, un coup d’œil sur le programme télé, et – comme un petit vieux qui sait qu’il n’a plus grand chose à attendre – il se glissait sous sa couette et regardait un film, espérant qu’il fut long car il savait que le sommeil aurait du mal à venir, il savait que demain la solitude encombrerait sa vie et qu’il ne saurait plus quoi faire d’elle !
Alain Girard